Publié par riahik le
Comment trouver les meilleurs débouchés pour son innovation de rupture ? La phase 1 de la méthode FIM
Très souvent les start-up qui lancent une innovation disruptive mettent des années à décoller. Leur offre rencontre un bon accueil, mais peu de commandes. Il leur faut pivoter, parfois plusieurs fois, pour trouver la bonne proposition de valeur. Or chaque pivot coûte du temps, donc de l’argent et des chances de succès. C’est pour répondre à ce problème courant que j’ai développé la méthode FIM, dont la première phase (appelée créativité) consiste à imaginer les bonnes applications.
Quelques exemples de perte de temps
Le téflon est un exemple spectaculaire. Originellement, vers 1940, Dupont de Nemours le vendait comme joint capable de résister aux acides les plus corrosifs. Le marché était évidemment microscopique. Ce n’est qu’en 1951, 12 ans plus tard, que l’ingénieur français Marc Grégoire a imaginé la première poêle antiadhésive. Une vente d’innovation de rupture particulièrement tardive !
Ce n’est pas un cas isolé. Il est fréquent qu’une brillante idée technique mette des années à trouver son application. En voici d’autres exemples :
Un de mes clients disposait d’une technologie originale de sources de rayons X. Un grand hôpital américain a financé le développement d’un scanner utilisant cette technologie, avant de l’abandonner. Mon client a tenté d’en faire une application militaire, encore sans succès. Il développe maintenant une source radiothérapique, pour le traitement in-situ de certains cancers. Les deux premiers échecs lui auront couté deux ans d’efforts inutiles. Un exemple typique d’échec de la vente d’une innovation de rupture !
Un autre de mes clients avait conçu un LIDAR à la fois ultrasensible et doté d’une fonction de pilotage ultra-rapide du temps d’ouverture. Son idée était d’en faire un remplaçant des radars, capable voir des icebergs même de nuit et à travers le brouillard et la pluie. Le marché n’en a pas voulu, préférant les solutions traditionnelles que sont le radar et les caméras infrarouges. Cet échec était parfaitement évitable. Malheureusement, lorsque je l’ai rencontré, il était trop tard pour appliquer ma méthode FIM (From Innovation to Market).
J’ai déjà évoqué l’exemple de la société IXYD (le nom a été changé), qui avait développé une application logicielle pour réduire la consommation électrique des ordinateurs. Cette application n’a jamais vraiment décollé. Mais elle a pu être transformée en une application de gestion des infrastructures de postes de travail pour de grandes entreprises, beaucoup plus intéressante sur le plan commercial.
Trouver l’application et la proposition de valeur qui font vendre
Un de mes clients avait développé une caméra à la fois très rapide et ultra-sensible, capable de fonctionner dans le domaine des ultraviolets. Son idée était d’en faire un détecteur de décharges électriques pour câbles à haute tension.
Quelques mots sur la physique. Sous une très forte tension, il peut apparaitre des « décharges Corona ». Ce sont des précurseurs des véritables décharges électriques, et des indicateurs de détérioration des câbles haute tension.
Une des motivations de mon client était l’apparition d’incendies en Californie. Rappelez-vous que le fournisseur d’électricité californien, PG&E, avait été mis en cause. Ses lignes à haute tension avaient provoqué certains de ces incendies. PG&E avait déposé son bilan.
La solution : le marché des trains chinois
Pouvions-nous trouver une meilleure application pour cette caméra ? Nous sommes donc revenus en arrière en phase 1 de la méthode FIM : trouver rapidement la ou les meilleures applications.
La phase 1 (de créativité) de ma méthode suppose de comprendre la réalité technique de l’innovation. Voici ce que nous avons conclu.
La caméra est très sensible aux ultraviolets. Elle peut être conçue en version « solar blind », c’est-à-dire être pratiquement insensible à la lumière visible. Elle est compacte et robuste. Sa rapidité est remarquable. Et elle est peu sensible aux perturbations électriques.
Nous avons cherché, de manière systématique, toutes les applications où il faut repérer de faibles décharges électriques. Nous avons par exemple imaginé des applications pour le contrôle qualité de cartes électroniques : en les soumettant à des tensions assez fortes, on aurait pu repérer de potentiels défauts d’isolation. Mais très vite, il est apparu que des caméras plus traditionnelles auraient pu faire aussi bien. Donc nous avons abandonné ce marché potentiel, sans avoir perdu ni de temps ni d’argent.
Trouver son marché en moins de 18 mois !
La phase 1 de la méthode FIM met en œuvre de l’intelligence collective. Un des membres de notre groupe de créativité a pensé aux trains. Nous avons immédiatement imaginé des caméras sur les toits des locomotives électriques, surveillant automatiquement les caténaires.
Cette application faisait usage des qualités du produit : sensibilité, rapidité (on parle de TGV), « solar blindness » (il faut voir les décharges en plein jour), et compacité (il y a peu de place sur un toit de train). Nos premières estimations (avec au moins une caméra par train) étaient intéressantes.
Nous avons alors appliqué une grille de critères techniques et financiers. Le test était positif.
Le responsable Business développement de mon client a alors pris son bâton de pèlerin. Il a contacté plusieurs sociétés ferroviaires. Résultat de cette phase de créativité : un des plus grands de trains de la planète a lancé des pilotes !
L’ensemble de ces travaux a pris moins de 18 mois. Sur cette durée, il ne nous a fallu que 3 mois pour abandonner l’idée originelle, et 2 pour trouver la bonne. Puis il a fallu 8 mois pour monter les premiers rendez-vous commerciaux (mon client n’avait aucune référence dans le monde ferroviaire), 4 pour convaincre et signer les deux premiers pilotes, et 2 pour les réaliser.
Un temps très court pour construire, depuis un simple démonstrateur technologique, une véritable application testée sur le marché. Et pratiquement aucun temps perdu !
Quelles leçons pour la vente rapide de son innovation de rupture
Les startups doivent savoir « pivoter » rapidement. Mon exemple montre que c’est vrai pour toutes les ventes d’innovations de rupture, y compris dans de grandes sociétés.
Pivoter rapidement suppose de la méthode. Il faut consacrer de l’énergie à tester le marché aussi vite que possible.
Cette exigence de méthode s’étend à la créativité. Imaginer dans l’abstrait, sans guide, est rarement efficace. Dans cet exemple, la méthode s’est révélée efficace sur au moins deux aspects :
- Le travail de compréhension de la nature de l’innovation, au-delà de l’idée originelle
- La recherche exhaustive de marchés potentiels
- Et l’utilisation d’une grille de sélection.
En plus, il faut évidemment de l’imagination et ce que j’appelle la « culture industrielle » : savoir comprendre comment un client que l’on ne connait pas pourra ou voudra utiliser une solution totalement nouvelle.
Avec ces ingrédients, on gagne beaucoup de temps.