Publié par riahik le

Gérer des priorités entre projets incertains : l'exemple de Photonis

Beaucoup de grandes et moyennes entreprises ont à gérer un portefeuille d’innovations (de projets innovants). S’agissant de projets incertains et peu comparables, ces entreprises ne peuvent pas utiliser leurs outils classiques d’évaluation et de priorisation. En pratique, soit elles ne s’imposent pas cette démarche, soit elles produisent des tableurs sophistiqués mais dépendants de paramètres très incertains : « les business plans, ça ne marche pas ».

C’est une des rares situations de gestion de portefeuilles de projets sans valorisation des projets.

Or les concepts à la base de la méthode FIM permettent de construire de bons outils de valorisation. Cette méthode est devenue un des fondements de mes constructions de processus d’innovation dans des grands groupes et des ETI. Voici, après quelques remarques théoriques, un exemple réel.

1. A quoi sert de valoriser un projet innovant dans un portefeuille ?

Quels sont les objectifs de cette valorisation ? N’oublions pas que nous sommes en présence de projets innovants, donc pour lesquels certaines données sont incertaines. Par conséquent, nous ne cherchons pas à construire un BP crédible. Nous ne cherchons même pas à estimer une rentabilité !

Mais nous voulons

  • Forcer les porteurs de projets à construire de bons dossiers, pour lesquels tous les aspects importants sont traités ;
  • Identifier les paramètres incertains, sur lesquels les gestionnaires de projets vont se concentrer. Cela accélérera le projet, en focalisant l’équipe sur l’essentiel ;
  • Fournir des valorisation objectives, contestables au sein des équipes, non dépendantes d’opinions non explicitées ;
  • Construire un consensus entre les membres des équipes. Le consensus est essentiel pour une gestion de projets innovants, qui doivent fonctionner de manière horizontale ;
  • Donner un classement « grosse maille » des projets : lesquels sont porteurs d’enjeux lourds, lesquels auront moins d’impact ;
  • Et donc, en synthèse, fournir aux décideurs les informations pour gérer le portefeuille d’innovations, d’affecter des ressources, de guider les équipes.

2. Photonis : un exemple de gestion d’un portefeuille d’innovations

Un des mes clients, la société Photonis, développe et produit des composants électroniques de très haute technologie. Elle a pour stratégie de trouver de nouvelles applications, suffisamment grosses pour justifier la construction de business units. Elle recherche une différenciation à long terme, garante de rentabilité et de valorisation de son avantage stratégique. Il lui fallait un processus de gestion de son portefeuille d’innovations.

Comme il s’agit de produits extrêmement innovants, le processus comporte quatre étapes (quatre niveaux de maturité du projet), essentiellement tirées de la méthode FIM. Le processus fournit une grille de valorisation très simple, avec trois critères uniquement, chacun pouvant valoir 0, 1 ou 2.

Trois critères qualitatifs

Un de ces critères mesure la différenciation à long terme, de manière qualitative. Un second mesure la maturité du marché (entre innovation de rupture et produit classique mais de très haute performance).

Enfin, le dernier indique le volume des ventes. En phase 1, on calcule un volume maximal de vente, sur l’hypothèse que tous les clients du marché vont acheter. En phase 2, moment où on a validé un intérêt théorique chez les clients, on calcule un volume sur les segments de marché qui ont une bénéfice théorique important, sans trop forte opposition interne. En phase 3, la valeur client a été validée, ce qui permet d’affiner les volumes. En dernière phase, on a construit un BP, à partir d’estimations des ventes pour les premiers clients et les premières années.

Ces valorisations sont converties en points à partir de deux seuils : 10 et 50 M€ pour la phase 1 (un CA entre ces deux chiffres donne un point, deux points au-dessus de 50 et 0 points en dessous de 10) ; 5 et 25 M€ en phase 2…

Le score total est la somme des trois indicateurs.

4. Les résultats

Ce processus a produit, immédiatement, d’excellents résultats. Les disputes entre membres de l’équipe ont instantanément disparu (grâce à l’objectivité des estimations). Certains projets considérés comme très prometteurs sont soudain apparus comme médiocres. Et les ressources ont été focalisées sur trois projets seulement, qui ont avancé beaucoup plus vite qu’avant le processus. La gestion du portefeuille d’innovations est devenue beaucoup plus fluide et efficace. Le contenu des projets a aussi changé :

Un exemple contre-intuitif

Voici un exemple de projet prometteur : des caméras ultrasensibles, pour mieux voir les cellules cancéreuses lors d’opérations chirurgicales. Des équipes de chirurgiens travaillaient avec enthousiasme sur cette application, et un fabricant de microscopes chirurgicaux développait un microscope dédié.

Mais

  1. La caméra ne comportait pas de différenciation technique très forte : 0 point ;
  2. Le marché dépendait d’approbations par les autorités sanitaires, longues à obtenir : 0 point ;
  3. Le nombre d’équipe de chirurgie oncologique dans le monde donnait un chiffre d’affaire maximal moyen : 1 point.

Total : 1 point sur 6. L’équipe a compris que ce projet avancerait lentement. Elle a aussitôt décidé de modifier son approche du marché, avec de nouvelles offres et une nouvelle politique d’identification d’opportunité : un cas d’école de pivot, fait très vite grâce à cette grille d’évaluation.

A l’inverse, l’équipe a identifié trois projets très prometteurs, alors qu’ils apparaissaient banals au départ.

Un excellent outil pour guider une politique de gestion d’un portefeuille d’innovations.