Publié par riahik le
Construire la valeur client : la phase 2 de la méthode FIM
Il s’agit de comprendre les processus des prospects, leurs douleurs, leurs enjeux. On en déduira leurs besoins (que, probablement, ils ne connaissent même pas encore !)
Il s’agit aussi de mesurer, aussitôt que possible, la valeur pour le client, et donc la valeur de l’innovation.
Cela parait banal. En réalité, si beaucoup de fournisseurs tentent de calculer la valeur du bénéfice qu’ils apportent, je n’en ai jamais vu faire faire les calculs par leurs clients. Ils semblent considérer que « cela ne se fait pas », ou que le sujet est trop sensible.
Un exemple concret : la société E6
E6 est une startup. Elle a développé une solution dite « d’agrégation » de production d’électricité éolienne et photovoltaïque très sophistiquée (si cela vous intéresse, voici une description de l’agrégation). une véritable innovation de rupture. Elle le vend sous la forme d’un service rendu aux centrales de production renouvelables.
Cette solution est basée sur un logiciel, qui suit en temps réel la production des centrales. Il doit prévoir les volumes de production, et donc mesurer régulièrement les performances techniques des machines. Le logiciel inclut un système de prédiction des prix de vente de l’électricité. Il doit aussi tenir compte des périodes de maintenance, pendant lesquelles la production disparait.
E6 a donc eu l’idée d’un service supplémentaire : proposer les périodes de maintenance les plus favorables, c’est-à-dire celles pendant lesquelles les prix de l’électricité seraient les plus faibles. Mais elle ne savait fixer le prix d’un tel service. C’est pour cela que E6 m’a demandé d’intervenir.
La valeur du service d’optimisation de la maintenance
La première phase de cette partie de la méthode FIM consiste à choisir des segments de clientèle.
Le patron d’E6 connaissait bien son marché, ce qui nous a fait gagner beaucoup de temps. Nous avons pu segmenter les clients, et préciser les « personnas » qui pourraient être intéressés par l’offre d’optimisation de la maintenance.
Nous avons décidé de cibler les producteurs indépendants, et en leur sein les services d’exploitation des parcs et les directions générales. Et nous avions imaginé plusieurs services possibles.
La phase suivante a été de construire une « formule » de calcul du bénéfice client. Voici un extrait de ce que nous avons rédigé, pour deux des services que nous avions imaginés :
Optimisation des périodes de maintenance
Les exploitants ont intérêt à planifier les opérations de maintenance préventive de leurs turbines dans les périodes propices, du point de vue des prévisions de production et des prix de vente.
Aujourd’hui, les exploitants regardent les cartes de prévision de vent, et évitent les moments où le vent sera fort. C’est une activité très peu couteuse en temps de travail, et très rudimentaire. Un travail plus fin, fait à la main, parait pratiquement impossible.
Le bénéfice d’une solution automatisée doit donc prendre comme référence le processus rudimentaire actuel. Le gain réside dans le surplus de chiffre d’affaires tiré d’une maintenance pendant les heures les moins chères.
La valeur de la production pendant les périodes de maintenance est
Valeur de la production par MW installé : 160 k€/an
Temps en maintenance préventive : 1,5%, avec un gain potentiel du tiers du prix de vente, soit
Bénéfice client potentiel : 1,5% / 3 * 160 k€/an : 800 €/MW/an
Optimisation des contrats de maintenance
Un autre service consistait à mesurer la courbe de puissance réelle des machines. L’idée était de faciliter la renégociation des contrats de maintenance, et d’en valider l’efficacité. Le montant était, selon nos estimations très grossières, trois fois plus élevé. Sans rentrer dans les détails du calcul, la formule était :
Bénéfice client potentiel : 10% du montant du contrat de maintenance, soit 2 k€/MW/an
Le point de vue du client : une mauvaise surprise
La troisième étape était alors de faire valider ces valeurs par des clients.
La manière de présenter la question au client est essentielle dans cette méthode de vente d’une innovation de rupture. Ici, nous avons choisi de parler d’un client avec lequel E6 avait de très bonnes relations. Nous n’avons pas hésité à annoncer, dès la première rencontre, que notre idée était de maximiser la valeur apportée, ce qui permettrait également à E6 de maximiser son chiffre d’affaires : un schéma gagnant-gagnant. Le client a accepté cet état d’esprit, qu’il a considéré comme normal.
Il a accepté de nous communiquer des données réelles de production et de maintenance d’un de ses sites. Cela nous a permis, en préparation d’une seconde réunion, de préparer des chiffres précis.
Le résultat était conforme à nos estimations initiales. Avec le client, nous avons imaginé la mise en œuvre de nos propositions. Et le client a été déçu : le gain ne valait pas l’effort. Une situation très courante dans le cas des premières tentatives de vente d’une innovation de rupture. Et une mauvaise nouvelle.
Les idées du client : une excellente nouvelle
Mais cet échec apparent était en fait une bonne nouvelle.
En premier lieu, cela nous a permis d’exclure très rapidement une mauvaise offre. Avec un processus classique de vente, nous aurions mis un an, pendant lequel nous aurions constaté des clients peu motivés. Nous aurions insisté, sans vraiment comprendre que l’offre n’aurait aucune chance.
Mais surtout, grâce à l’état d’esprit « gagnant-gagnant », et à notre transparence, le client a accepté de considérer d’autres hypothèses. C’est un des effets du calcul de la valeur par le client. Et l’idée d’une assistance technique et économique au choix des machines est apparue. L’outil logiciel d’E6, et ses bases de données de productions réelles, permettait en effet de mesurer les performances des turbines en fonction des vitesses de vent. E6 disposait également de bonnes données sur les régimes de vent sur toute l’Europe. E6 était donc en position de prédire les productions d’un parc à partir de sa position géographique.
Nous avons alors décidé de comparer les chiffres d’affaires que produiraient différents modèles de turbines. La valeur obtenue était très largement supérieure. Je n’en donnerai pas le chiffre ici, pour des raisons de confidentialité. Disons que le chiffre s’exprimait en dizaines de milliers d’euros par machine !
Et le client passe commande !
Lors de notre troisième rencontre, le client a pu valider nos calculs. Et il a demandé une offre de support technique !
Deux mois après, E6 avait conclu un contrat de prestation récurrente.
Quelques leçons pour les ventes d’innovations de ruptures
Cette histoire vraie met en lumière quelques éléments de la méthode FIM.
Dans beaucoup de cas que j’ai connus, le fournisseur aurait insisté sur la vente de l’optimisation de la maintenance, dont le temps de retour sur investissement (TRI) était excellent, mais sans succès et sans en comprendre les raisons. Avec, à la clef, la perte d’au moins un an. Ici, la méthode a permis de parcourir toutes les offres possibles. Elle a mis le client en position d’examiner toutes les conséquences d’un éventuel achat. Ici, il a rapidement refusé les solutions prometteuses.
Et surtout, la discussion transparente et en mode gagnant-gagnant a permis de construire très rapidement la bonne offre.
En résumé, E6 a pu abandonner ses idées originelles, pivoter, construire une nouvelle offre et gagner son premier contrat de service logiciel. Tout cela en moins de 6 mois !
Cela suppose évidemment une méthodologie précise, et un certain savoir-faire. Il faut savoir comment présenter les bénéfices, comment découvrir d’éventuels paramètres critiques (par exemple, ici, les différences de performances des machines en fonction des régimes de vents), et construire la bonne relation avec les prospects.
Et, sous ces conditions, on peut gagner beaucoup de temps.
Vous pouvez lire aussi :
La phase 1 de la méthode FIM : imaginer les bonnes applications
La phase 3 de la méthode FIM : estimer la valeur client
Vue globale de la méthode